En rangeant mes archives, j’ai trouvé cet article du Monde datant des années 1975-1976. Les temps ont changé mais l’essentiel peut être re-réfléchi à l’aune de notre temps si perturbé. L’individu reste pour sa survie (ressentie) attaché à un équilibre entre les efforts qu’il (ensemble autonome) consacre à la société et ce qu’il en retrouve par ailleurs, au plan financier comme sur d’autres aspects (considération, sentiment d’utilité…). Les classes moyennes sont au premier chef concernées. On retrouve ainsi le principe d’équité que je promeus, équilibre entre intérêt individuel (lutte pour la vie) et nécessité vitale de maintenir le lien social (la dignité de l’Homme).
» Lettre à mon directeur-général « , tel est le titre d’un article paru dans « Le Monde du 23 Juillet dernier sous la signature de Claude Vielfaure. Ce texte, nous le reproduisons avec la courtoise autorisation de la direction du « Monde ».
Monsieur le directeur général,J’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir augmenter mes appointements, le mois prochain, de 87,25 F.
Pourquoi ?
La nation a décidé, en effet, qu’à partir du 1er juillet, ma femme ne devait plus être rémunérée pour les travaux qu’elle assume à la maison. L’allocation de salaire unique, en effet, n’est plus désormais versée eux femmes dont les maris ont les moyens suffisants pour assurer seuls la subsistance de leur famille.
Ma femme donc, va devenir une femme entretenue par un particulier, moi… Mais elle ne sera plus à la charge de la communauté nationale.
Personnellement, en me plaçant d’un simple point de vue social, je trouve cette mesure parfaitement justifiée.Seulement, je pense que, comme mol, vous trouverez choquant que mon niveau de vie, d’un trait de plume, soit amputé de 100 francs environ tout les mois, dans un moment où on en peut plue lire un quotidien ni écouter un bulletin d’Information sans entendre que le niveau de vie des Français augmente.
Bientôt, sous prétexte que je déclare plus de X F de salaire annuel, on supprimera la prime de transport (réservée aux pauvres (il n’y a qu’eux, c’est bien connu, qui sont transportés). La S.N.C.F. a déjà prévenu que lorsqu’elle sera un office Indépendant, elle fera « sauter » la carte de réduction de familles nombreuses aux familles dont les revenus déclarés (voir plus haut), etc.
Déjà, lorsque je me suis logé, on m’a fait savoir que je n’avais droit à-aucune aide, et que j’avais à me débrouiller seul. Le niveau, de mes revenus ne me permettant pas d’accéder aux appartement dont ma situation et mes besoins me rendraient digne, ni à ceux qui sont réservés à ceux dont les revenus… (voir plus haut), je me suis • débrouillé, seul, effectivement ; dépouillé serait plutôt le mot juste.
Je suppose qu’on ne va pas s’arrêter en si bon chemin. En matière sociale, comme en toute autre, ce qui çoûte, c’est le premier pas.
Je propose, car je suis très social, une loi éminemment sociale, très simple et qui réglerait la question des riches et des pauvres d’une façon élégante. Cette loi éviterait la politique du coup par coup maladroite, qui menace de durer longtemps (à raison d’un coup par an, on en a pour un demi-siècle !) et qui fait lever chaque fois, des mécontents.
Article premier. – Il est scandaleux qu’il y ait des riches et des pauvres (on enfonce un peu une porte ouverte, mais c’est le genre de déclaration toujours très appréciée dans un préambule).
Article 2.- Il est scandaleux, par conséquent, que les riches paient tout au même prix que les pauvres. Le riche a toujours la possibilité de payer plus cher sa voiture, son bifteck et sa place de théâtre, mais il en a, dans ce cas là pour son argent ! Jaguar contre R. 4, faux-filet contre bas morceaux, place d’orchestre contre poulailler. Mais l’essence, le gaz, l’électricité, le kilomètre SNCF ? tout cela devra avoir, désormais deux tarifs : un cher pour le riche, un bon marché pour le pauvre ; ainsi justice sera faite.
Article 3.- Le financement de la présente loi est assuré par la redistribution aux vendeurs des sommes payées par les uns et les autres, par un organisme à définir, à qui iront toutes les recettes (c’est le système employé pour le denier du culte,
c’est le triomphe définitif de la fiscalité absolue
Lorsque les effets de cette loi seront bien installés, et que la vie du pauvre deviendra donc identique à celle du riche (il pourra même se payer des résidences secondaires, puisque l’hectare en Sologne coûtera, pour lui, le quart de ce qu’il coûte à un PDG, l’heure de maçon, la brique et le béton aussi), j’aurai alors l’honneur de vous écrire une seconde lettre, dans laquelle je vous demanderai de bien vouloir diminuer mon salaire, jusqu’au seuil nécessaire fixé par ma loi pour la réduction de la «carte de réduction de tout» et bien entendu corollaire indispensable et juste, je vous demanderai de bien vouloir me trouver ou éventuellement créer pour moi un petit emploi facile, au sein de la société, ou je puisse rentrer chez moi avant 21 heures et voir grandir mes enfants. Par exemple, manutentionnaire, ou quelque chose comme cela.
Bien entendu, je conserverai mon grand appartement d’Auteuil, ma résidence secondaire à Pacy-sur-Eure, ma grosse voiture et les écoles privées des enfants où il n’y a jamais la grève.
Mais cela va sans dire, puisqu’en vertu de ma loi, je ne paierai tout cela qu’à un prix désormais réduit – exactement proportionnel à mon salaire – ce qui explique pourquoi je n’aurai plus la nécessité de travailler beaucoup et d’avoir des responsabilités fatigantes.
Comme cette vision des choses sont sans doute partagées par beaucoup, le chômage des cadres sera résolu, le scandale de la main-d’œuvre immigrée aussi. Car désormais, ce n’est plus de la population pour bidonvilles qu’il faudra importer mais des ingénieurs, des cadres de direction, des chirurgiens.Mis cela, ce sera le problème des présidents de demain.
Veuillez croire, …