Dans les années 70, lors de mes engagements associatifs, j’avais eu à observer la mise en place l’émergence des concepts suivants : tiers monde, puis quart monde que le père Joseph Wresinski avait mis au jour. Je pensais que, en plus de la misère ainsi constatée dans tous ces secteurs, il y avait un danger latent, celui de ne pas voir arriver « le cinquième monde ».
Dans les pays « civilisés » et alors en expansion, il y a eu explosion du « confort », légitime in situ mais posant problème sur deux aspects. Si le côté moral n’a pas besoin d’être développé tant il pose question, il n’en est pas de même de la partie économique.
Vers 1960, engagé au plan associatif dans le bidonville de Nanterre, j’ai eu le pressentiment qu’au delà de la compassion matérielle qui s’affichait de manière criante, la société s’engageait dans un choix qui négligeait la rigueur économique. Dans cette période pourtant faste, le gâchis entre investissements irresponsables et aides désordonnés faisait déjà flores. Avec l’essor des «associations commerciales» et autres organismes subventionnés sans contrôle, le danger est mortel. Une réforme profonde du contrôle au plan conceptuel est impératif.
Les investissements qui ont été faits dans toutes les collectivités, nationales, régionales ou locales, ont un coût d’entretien, certainement légitime dans l’instant, mais irresponsable à terme. Le système électoral actuel ne tient pas compte, ou si peu, de la responsabilité hors mandat. Dans la période actuelle, ce concept reprend une importance vitale tant il est vrai que nombre de collectivités, dont les moindres, vivent au delà de leurs moyens, n’ayant pas la surface financière d’entretenir de tels « investissements de confort » : piscine, tennis,… On arrive soit à des restrictions qui engendrent frustrations individuelles et gâchis collectif, soit à une augmentation obligatoire des impôts.
Il convient de remettre à leur juste place certaines valeurs et obligations dans le domaine distributif. Quand il le met en œuvre, le détenteur d’un capital engage sa responsabilité, non seulement financière mais aussi d’homme. Si il est dépositaire de fonds publics ou privé dont il n’est que le gestionnaire, il est responsable de ses choix et doit en rendre compte auprès qui de droit. Or le contrôle est, là aussi est défaillant….
Au delà de son intérêt économique salué tardivement aujourd’hui, le patron de PME est un exemple.
Actuellement aucun dirigeant de grande entreprise, salarié à part entière, n’a intérêt à avoir une vision de long terme et collective : il joue personnel car son avenir n’y est pas lié. Il paraît opportun de citer ici une phrase de Paul Louis Merlin, ancien PDG fondateur de Merlin Gérin, lors d’un séminaire que j’animais dans les années 66-67 à l’Institut d’Administration des Entreprises de Grenoble. Il disait qu’il y a deux entités qui sont en phase avec l’entreprise : ce sont d’une part le PDG (et ajoutait-il celui qui détient à la fois le capital et la direction car il a dans une main toute la responsabilité de l’entreprise, : le passé, le présent et l’avenir), et d’autre part le personnel car force de travail créative, ce dernier est en contrat direct avec elle et coproducteur de valeur. « Mais, méfiez-vous toujours des cadres intermédiaires, car souvent en toute bonne foi, ils mélangent l’intérêt de l’entreprise et leur vision personnelle de celui-ci ». Le dirigeant de grandes entreprises, multinationales ou autres, est désormais un « cadre intermédiaire » et il n’est pas toujours exempt de mauvaise foi.
Que ce soit dans le domaine politique ou économique, dans tous les rapports humains, tout responsable doit engager lors d’une décision un risque personnel et en rendre compte aux autres mandants. Prendre une décision est implicante, sinon c’est une opinion. C’est peut-être le problème de notre société que de se référer sans contrepartie aux sondages, aux mouvements d’opinion, aux lobbies au risque de mettre en péril la démocratie (de δῆμος / dêmos, peuple et κράτος / krátos, souveraineté). La pratique individuelle de la responsabilité, à chaque niveau, est la condition première pour faire vivre une vraie démocratie.
Un suivi des responsabilités doit être rigoureux, organisé autour de la mesure, de la délégation, de la traçabilité et des pôles d’alerte en cas de dysfonctionnement.